Mort à Vif
Exécution avec lecture, piano et préméditation
Par Joséphine Maillefer et Hans Kang
Villes pour la vie, villes contre la peine de mort
30 novembre 2017
Exécution avec lecture, piano et préméditation
Par Joséphine Maillefer et Hans Kang
Villes pour la vie, villes contre la peine de mort
30 novembre 2017
Le poinçonneur des lilas
par Noémie Arnold, le 1.12.2017.
On était pourtant prévenus : « exécution, mort à vif». Le dessin de l’affiche était pourtant clair : corde, marteau, étouffoir. Mais je n’ai rien compris, c’était voulu d’ailleurs. Personne n’a compris. Pas même les méticuleux déménageurs. On n’y a vu que du feu. On n’y a vu qu’un piano.
La peine de mort. On sait tous vaguement ce que c’est, on est tous vaguement contre. Vaguement, car tout semble avoir été dit et pensé. Dit, pensé, mais pas vécu. C’est là que la performance devient nécessaire. La performance, c’est lorsque toute autre forme d’art a échoué.
Hans Kang (le gang de Jean ?) récite le quotidien de détenus condamnés à mort. Joséphine bricole sur son piano. Des cordes scotchées, des crayons plantés, un collier de feuilles de saison vibre dans l’instrument. Les morceaux mélancoliques et suaves son dissonnants, en accord avec le destin des condamnés qu’ils dessinent, et prennent des airs de ritournelles. Verlaine en prison – Roy en prison.
L’agonie infecte des condamnés nous est décrite par le menu. Décapitation, pendaison, chaise électrique, injection létale. Cous sectionnés, orteils s’agitant, battements saccadés. Echec pitoyable de sociétés qui cherchent à tuer sans faire de mal. A tuer sans faire de trace. A tuer au passif, sans bourreau.
Joséphine joue, Hans Gang parle et ma voisine de devant ronfle, je mévade dans les pensées de ma journée.
Et alors ça arrive sans prévenir. Le morceau est coupé. Section des cordes d’une touche de piano. La musicienne continue. Deuxième section. Le bourreau à la pince poursuit son office, la pianiste aussi. Le son des cordes coupées une à une est d’une violence inouïe.
Comme un pantin, la pianiste poursuit sa berceuse. Absurde douceur.
Comme un pantin, le serrurier poursuit sa découpe. Absurde violence.
Insupportable, inregardable, inécoutable.
Je détourne les yeux et pleure, horrifiée d’être prise en otage devant cette mise à mort.
Les touches sectionnées s’agitent en l’air avec un son feutré et des cliquetis de bois. Elle cherchent une corde à frapper.
Les touches encore en vie émettent une mélodie saccadée. Elles attendent leur tour.
Le piano résiste, le bourreau s’acharne. Les cordes sautent, le bourreau se tord.
Le son obscène de la pince a raison de la ritournelle.
La dernière corde est coupée et la pianiste joue dans le vide.
A présent qu’il a rendu l’âme, apparaît toute la beauté gâchée de l’instrument. La délicatesse de sa marquetterie, la complexité de sa mécanique, la douceur de son ivoire, la finesse de sa ligne. Avec lui est mort le luthier, l’accordeur et tous les musiciens qui lui ont confié leurs airs.
Il ne reste plus qu’à évacuer sa carcasse.